6 days ago
Les derniers témoins de Nagasaki racontent 80 ans après l'horreur
Les bombes nucléaires ont explosé sur le Japon il y a 80 ans. Les survivants de Nagasaki témoignent de l'enfer vécu ce jour-là.
Bernard Delattre - Envoyé spécial à Nagasaki Publié aujourd'hui à 06h31
La deuxième bombe atomique américaine a été larguée sur Nagasaki le 9 août 1945 et a détruit une très grande partie de la ville japonaise.
imago images/Reinhard Schultz
En bref:
Tomoko Matsuo, qui avait 12 ans en août 1945, n'a jamais oublié le moment où la bombe atomique a explosé à Nagasaki. «J'étais en train de faire de la couture. Tout à coup, on a entendu un fracas terrible, un bruit absolument assourdissant, et ressenti une secousse extrêmement violente – la maison a tremblé alors qu'elle était à près de trois kilomètres de l'endroit où la bombe est tombée. Ensuite, dans toute la ville, le ciel s'est illuminé d'une blancheur sinistre. On n'avait jamais vu cela. On était tous tétanisés: complètement sous le choc. Huit décennies plus tard, le souvenir de cet instant d'épouvante me glace toujours le sang.»
Tomoko Matsuo
Bernard Delattre «Un spectacle d'apocalypse» à Nagasaki
Au centre-ville, ce fut le cauchemar. «Au point d'impact de la bombe, la température au sol a atteint 4000 degrés», explique Katsufumi Shiraishi, qui est guide bénévole à la Fondation pour la promotion de la paix, à Nagasaki. «Un vent brûlant soufflant à plus de 245 km/h s'est propagé dans toute la ville. Les habitants qui avaient survécu au bombardement étaient si assoiffés qu'ils buvaient l'eau des rizières, ce qui leur a souvent été fatal car elle était contaminée à cause des retombées radioactives.»
«Dans un rayon d'un kilomètre, toutes les maisons en bois, sans exception, ont été pulvérisées. Même des immeubles en béton n'ont pas résisté au choc», rappelle Takuji Inoue, qui dirige le Musée de la bombe atomique de la même ville. À l'école primaire de Shiroyama, qui n'était située qu'à 500 mètres du lieu de l'explosion, ce fut le carnage. «En une fraction de seconde, 1400 de ses 1500 élèves furent tués ainsi que la plupart des enseignants», s'effare son directeur actuel, Masanori Yamaguchi.
Shigemitsu Tanaka
Bernard Delattre
Dans la cité dévastée, «c'était un spectacle d'apocalypse», se souvient Shigemitsu Tanaka, qui avait 4 ans à l'époque. «Des blessés erraient, hagards, souvent affreusement brûlés, leur visage criblé d'éclats de verre ou ne pouvant plus ouvrir les yeux tellement l'éclair de la bombe les avait aveuglés. Des corps jonchaient les rues, parfois si carbonisés qu'on ne pouvait pas distinguer s'il s'agissait d'hommes ou de femmes. Il y avait tant de cadavres qu'on les empilait sur des charrettes tirées par des bœufs et qu'il fallut deux jours entiers pour tous les transporter vers les morgues de fortune qu'on créa en catastrophe. Dans les hôpitaux, bondés, c'était le chaos: les irradiés étaient allongés à même le sol. Jamais je n'oublierai leurs gémissements, pas plus que cette puanteur étrange qui a empli l'air de toute la ville. C'était terrifiant.» Un acte impardonnable pour 67% des Japonais
Pour les enfants, le calvaire s'est poursuivi après les bombardements. «La plupart des écoles du centre-ville durent fermer tellement elles étaient dévastées», se souvient Matsuyoshi Ikeda, qui avait 7 ans. «Pendant trois ans, les élèves ont donc été transférés d'un établissement à l'autre mais, en fait, énormément d'enfants n'ont plus pu se permettre le luxe d'aller en classe. Du jour au lendemain, beaucoup se sont retrouvés sans maison, sans parents parfois, et sans rien à manger ni à boire. Ils ne pouvaient donc compter que sur eux et se battre pour survivre. Chez nous, à la maison, le riz trois fois par jour, c'était terminé. Quand on en trouvait, c'était la fête, mais elle était très rare car les autorités envoyaient prioritairement cette céréale au front et dans les garnisons: pour nos soldats. Pendant des années, on dut donc se contenter d'orge, de radis, de patate douce ou de citrouille. On était si démunis que ma mère en était réduite à laver puis réutiliser les langes pour bébés. Moi-même, j'ai dû interrompre ma scolarité: il m'a fallu travailler. D'abord chez un boulanger – je me réveillais à 3 heures du matin et me couchais à 23 heures – puis sur un bateau de pêche, y compris quand il faisait glacial en hiver. Cela a été terrible.»
Matsuyoshi Ikeda
Bernard Delattre
À en croire un sondage publié samedi, seuls 20% des Japonais jugent que le recours américain à l'arme atomique sur Hiroshima et Nagasaki était «inévitable». À l'inverse, ils sont 67% à ne toujours pas pardonner aux États-Unis d'avoir fait ce choix à l'époque. Newsletter
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